
Autodidacte, j'ai commencé à dessiner au crayon à
papier parce qu'enfant, j'aimais faire surgir du papier blanc des formes et des
paysages. Les travaux au crayon, à l'aquarelle ensuite, lors d’une rencontre en
montagne avec un architecte paysagiste, déterminante pour mon avenir de
plasticien, puis au pastel ont été mes techniques privilégiées.
Elève en pension, je passais de longs moments à
dessiner durant ces mercredis entre chiens et loups d’automne, où la pluie
cingle les carreaux et dans lesquels l’abondance de sucres semble être le seul
vrai acte de résistance passive à la morosité ambiante. Saturé de chocolat, je
rêvais d'ailleurs à l’aide d’une mine de crayon, qui m’inventait des mondes
perméables. Ce n’était pas de l’ennui, mais une sorte de mélancolie active dans
laquelle le dessin me permettait de surnager. La force de l’art, c’est d’être
capable d’émouvoir et de faire partager, au plus grand nombre, l’émotion
contenue et libérée par l’artiste. Créer, c’est d’abord se trouver en prise,
aux prises, avec l’ange de Jacob, lutter sans cesse, corps contre corps avec
lui toute la nuit de sa vie, ne pas le reposer à terre avant qu’il ne vous ait
béni au risque d’en être estropié, car on ne sort jamais indemne du combat avec
un ange.
Il existe pour moi une relation sensuelle entre le
matériau utilisé et le support du papier. C'est toujours une alchimie étrange
qui s'opère lorsque pastel et support fusionnent et se complètent pour donner
naissance à ce que l'on appelle une œuvre.
Lorsque je travaillais l'aquarelle, je laissais
toujours beaucoup d'espaces autour des sujets peints comme si le fait de
remplir le papier pouvait nuire à la légèreté et la précision de la technique.
Aujourd'hui, dans cette approche du pastel, il me
semble naturel de laisser la couleur faire la conquête de l'espace qui lui est
du.
Chaque matin en me levant, je jette un coup d’œil sur
le jardin. Quelque soit le temps, quelques soient les saisons qui défilent à ma
porte et s’arrêtent un instant sur le seuil, je m’émerveille de cette création
qui m’est si proche et que je tente de transcrire au travers mon travail de
peintre.
Peindre, c’est s’absenter du monde visible pour
traduire des sensations intimes, emprunter des chemins imprévus, participer
autrement à l’ordre ou au désordre des choses.
L’art ne ment pas, ne met pas de distance entre les
autres et soi-même, il se révèle dans sa nudité sobre ou sa fragilité violente
avec la même franchise évidente. Les artistes rêvent leurs propres rêves et ne
laissent à personne le soin de le faire. C’est pour cela qu’ils frôlent parfois
l’inaccessible.
Quand on peint, on fait toujours l’amour, car on puise
en soi au-delà du plaisir d’utiliser les couleurs, non seulement l’élan et la
force qui conduit à la jouissance, mais aussi les gestes de la
sensualité. Les corps m'ont appris la soie de la toile tendue, les courbes
délicates des muscles, la patience et le travail, la douceur des larmes et la
volupté des regards, les voyages endormis. Un artiste est un être qui n’a pas
encore épuisé sa vitalité, mais qui la creuse et la comble en même temps, qui
se vide de ce qu’il donne et se remplit de ce qu’il crée.
Petit à petit, j’ai donc grappillé des instants,
photographié avec mes yeux des paysages, des vides et des pleins, que n’auraient
pas reniés les peintres de l’Antiquité, sans appareil photographique aucun,
pour n'en garder que leurs traces dans ma mémoire, comme des objets précieux et
personnels, pour qu’après moi, il ne reste rien de ce qui m’a fait vibrer, que
la mémoire des les êtres vivants que j’ai aimés et à travers eux mes œuvres qui
continuent leur route.
Je ne veux rien fixer, rien garder, rien récupérer de
tangible et si j’ai choisi de peindre, c’est seulement parce que tout m’échappe
et que rien ne m’appartient lorsque mes mains glissent sur le papier, lorsque
le fluide pulvérulent des pastels s’étale sous mes doigts et vient tapisser mes
bronches d’éclats de couleur, le temps de donner vie à une feuille vierge.
« Évoluer
au milieu des pastels de Luc Thieulin, c'est entrer dans un jardin des
solitudes admirables. Cela tient du contemplatif, du méditatif. Ses œuvres sont
des miroirs dans lesquels se réfléchissent à la fois ses sentiments profonds et
nos propres résonances. Ses palissades semblent clore l'espace. Mais le talent
du plasticien est d'y projeter de telles couleurs, de telles lumières, qu'au
contraire ce sont des persiennes non pas fermées sur le monde, mais des
fenêtres ouvertes sur nous-mêmes.
Les formes végétales, autant que les tracés horizontaux ou verticaux, invitent à une introspection solitaire et salvatrice pour, peut-être, atteindre un état de félicité rare. »
Les formes végétales, autant que les tracés horizontaux ou verticaux, invitent à une introspection solitaire et salvatrice pour, peut-être, atteindre un état de félicité rare. »
Patrick
Crossoneau / Plasticien
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